TCHAD : les pouvoirs de police en période de couvre-feu

Par décrets consécutifs n°449 et 500, le président tchadien Idriss Déby Itno a institué les 2 et 3 avril 2020 un couvre-feu dans quelques localités du pays pour renforcer les mesures de sécurité en vue de juguler le coronavirus. Le couvre-feu donne pouvoirs de contrôle aux forces de l’ordre qu’il convient de connaître leur étendue.

Le gouvernement tchadien a institué le couvre-feu de 19 heures à 6 heures 00 mn du matin, dans un premier temps dans quatre provinces du pays, à savoir le Logone occidental, le Logone oriental, le Mayo-Kebbi Ouest, le Mayo-Kebbi Est, et la ville de N’Djaména, comme un autre bouclier contre le coronavirus. Ensuite, il l’a élargi aux localités de Mandelia, Logone-Gana, N’Djaména-Farah et Guitté pour une période de deux semaines renouvelable.

Des prérogatives exceptionnelles des agents de sécurité

La notion de couvre-feu ne figure dans aucun texte de lois de la République. Raison pour laquelle, les décrets instituant le couvre-feu visent plutôt l’Ordonnance n°44 du 27 octobre 1962, relative à l’état d’urgence. L’état d’urgence est une mesure prise par les pouvoirs publics en cas de péril imminent dans un Etat (Cf. art. 1er). Le COVID-19 constitue une atteinte grave à l’ordre public sanitaire au Tchad. C’est pour faire face à cette urgence sanitaire que le président de la République a décrété le couvre-feu censé permettre d’adopter des mesures exceptionnelles de riposte sanitaire qu’impose le coronavirus. Le couvre-feu ainsi que l’état d’urgence imposent un régime restrictif des libertés, caractérisé surtout par l’extension des pouvoirs ordinaires des agents chargés du maintien de l’ordre.

Ainsi, les agents de la police et de la gendarmerie sont habilités à perquisitionner des domiciles de jour et de nuit ; contrôler la presse et des publications de toute nature, ainsi que des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales. L’état d’urgence leur confère également le pouvoir d’interdire la circulation des personnes ou des véhicules, la réunion de toute nature dans les zones et à des heures fixées par décision, etc. (Cf. art 4 de l’Ordonnance n°44). En vertu du couvre-feu, les forces de l’ordre font le contrôle sur les véhicules gros-porteurs transportant les marchandises autorisés exceptionnellement à rentrer dans la ville de N’Djaména à partir de 22 heures avec à leurs bords, le chauffeur plus un ou deux apprentis.

Les recours à la force et à la contrainte sont conditionnés

Dans le cadre général du maintien de l’ordre, le gendarme ou le policier, peut être amené, en vertu de ses prérogatives de puissance publique, à recourir à la contrainte et à la force pour faire respecter les décisions. Cependant, les recours à la force et à la contrainte sont soumis à une double condition : l’absolue nécessité et la proportionnalité prévues par les Codes de Déontologie de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale. Ainsi, selon l’article 10 du décret n°413/PR/PM/MSPI/2016, portant Code de Déontologie de la Police nationale, « l’usage des menottes et de moyens de contrainte n’est justifié que lorsque l’individu appréhendé présente un danger pour lui-même, pour autrui ou qu’il est susceptible de s’enfuir ». Aussi, en cas de l’usage des armes à feu, « le gendarme ne peut faire usage de son arme individuelle de dotation, qu’en cas de légitime défense ou dans le cadre du commandement de l’autorité légitime, sauf si l’ordre est manifestement illégal… » (Cf. art. 13 du Déontologie de la Gendarmerie nationale). C’est-à-dire si on tire sur les gendarmes, ceux-ci peuvent riposter au fusil, mais l’usage de la force doit rester proportionné. Idem pour le fonctionnaire de police. En sus de cela, ce dernier peut user de son arme « pour soustraire autrui à une menace imminente de mort ou de blessure grave ; prévenir une infraction majeure mettant en péril des vies humaines », selon l’article 12 du Code Déontologie de la Police nationale.

Il faut concilier la protection des personnes et l’ordre public

En somme, l’intervention des agents de l’ordre pour faire observer les décisions gouvernementales, en l’occurrence le couvre-feu, est strictement encadrée : le but est non seulement de garantir la sécurité de la population contre la contagion du coronavirus, mais aussi d’éviter que les forces de l’ordre ne soient elles-mêmes, blessées en assumant leur rôle. En clair, cette nature complexe du maintien de l’ordre permet d’éviter tout dérapage, tant du côté des forces de l’ordre que de la population. C’est pourquoi, la police fait recours aux armes non classées en tant qu’armes à feu comme les matraques en bois ou en caoutchouc, le canon à eau, aux gaz lacrymogènes moins susceptibles de causer de blessures graves ou de décès parmi la foule. Les bavures sur la population sont interdites et leurs auteurs sont susceptibles d’être sanctionnés. En date du 06 avril 2020, le Directeur général de la gendarmerie, à travers un communiqué de presse, a mis en garde les agents qui commettent des exactions sur les populations et prélèvent des amendes arbitraires.

Alphonse Dokalyo