Les réseaux sociaux à l’épreuve de Covid-19 

Le gouvernement tchadien, à travers un communiqué de presse daté du 15 avril 2020, menace de poursuite judiciaire des auteurs de fausses informations sur les réseaux sociaux qui sabotent ses actions contre le Covid-19. Cette réaction conduit à s’interroger sur la liberté d’expression dans notre pays à l’ère du numérique.

« Depuis quelques temps, certains individus s’adonnent à des pratiques extrêmement dangereuses sapant gravement les actions de communication gouvernementale. Plusieurs actes du gouvernement ont fait l’objet de manipulation, de désinformation et d’intoxication tant sur les réseaux sociaux que sur d’autres canaux de communication spécialisés dans les fake-news. Le gouvernement condamne avec véhémence cette manipulation (…) et se réserve le droit d’engager des poursuites judiciaires à leur encontre », avertit KALZEUBE PAYIMI DEUBET, ministre d’Etat, ministre Secrétaire Général de la Présidence, par ailleurs, Président de la Cellule de Veille et de la Sécurité Sanitaire, dans un communiqué de presse diffusé par les médias nationaux.

Un faux décret qui sème la confusion

En effet, dès la découverte au Tchad du premier cas de contamination de Covid-19, le 19 mars 2020, les autorités tchadiennes ont pris des mesures de prévention pour contrecarrer cette pandémie. Malgré cela, le risque de contagion affole les populations tchadiennes. Cette peur du coronavirus alimente des fausses informations et intox en tous genres sur les réseaux sociaux. Des Tchadiens de tout poil partagent des fake news sur cette pandémie, soit pour susciter des réactions (plus de clics) en vue d’atteindre des visées inavouées, soit pour tromper l’opinion nationale incrédule sur les actions de lutte. A titre d’exemple, le 15 avril 2020, un faux décret n° 549 signé par le chef de l’Etat instituant le couvre-feu de 14 heures à 5 heures du matin dans toutes les provinces du pays, circule sur les réseaux sociaux, alors qu’au même moment un autre est rendu public par le gouvernement. Ce texte authentique porte le n° 577 et proroge de deux semaines le couvre-feu de 20 heures à 5 heures du matin dans certaines localités du pays (Cf. numéro spécial de T&C n° 386). Or, le couvre-feu fait partie d’une batterie de mesures de prévention instaurées par les pouvoirs publics pour circonscrire le coronavirus. Du coup, ce décret n°549 inventé de toutes pièces compromet les actions de lutte contre cette pandémie ; il sème la confusion dans les esprits. Raison pour laquelle le gouvernement tchadien qui n’entend pas laisser prospérer la chienlit des réseaux sociaux, a mis en garde des auteurs de fausses informations. Cette réaction du pouvoir ne remet-elle pas en cause la liberté d’expression consacrée par la Constitution du 04 mai 2018 ?

Selon l’article 28 de la loi fondamentale, « les libertés d’opinion et d’expression, de communication, de conscience, de religion, de presse, d’association, de réunion, de circulation, de manifestation sont garanties à tous ». La liberté d’expression implique que la population peut, toutes les fois que le besoin se fait sentir, se prononcer librement dans un sens ou dans un autre, sur tous les actes posés par les pouvoirs publics dans les domaines de la vie publique. Pour ce faire, elle peut exprimer son opinion par tout moyen de communication pour se faire entendre. Aujourd’hui, les gens utilisent plus les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, WhatsApp, Instagram, Messenger… pour communiquer et s’informer. En fait, ces outils de communication offrent à chacun la possibilité d’exprimer son point de vue personnel sur un sujet particulier et à tous les lecteurs de réagir à celui-ci en formulant des commentaires. L’utilisation des réseaux sociaux par les particuliers, relève donc de leur droit à la liberté d’expression et d’opinion. Cependant, les informations véhiculées ont une influence considérable dans les sociétés à telle enseigne que les réseaux sociaux font aujourd’hui l’objet de vives critiques partout dans le monde. Ils sont au cœur des débats, avec la divulgation des rumeurs, de fausses nouvelles et de messages de haine et d’incitation à l’extrémisme. C’est pour empêcher l’usage abusif des réseaux sociaux que le gouvernement tchadien décide dorénavant de traduire en justice des auteurs de désinformations. Aussi, dans cette même perspective que le législateur tchadien apporte quelques restrictions à l’exercice de la liberté d’expression et d’opinion.

Des dispositions légales sans équivoque

L’Ordonnance n°025/PR/2018 du 29 juin 2018 portant Régime de la Presse écrite et Média électronique au Tchad, en son article 2 alinéa 1er, dispose que : « la liberté d’expression et d’opinion et le droit à l’information s’exercent dans le respect des valeurs culturelles nationales, de l’ordre public et de la vie privée des citoyens. » En effet, le Covid-19 menace non seulement la sécurité des personnes, mais aussi l’ordre public sanitaire au Tchad. Le gouvernement, en tant que garant de la sécurité des personnes, a pris des mesures de sécurité exceptionnelles, dont le couvre-feu pour sauvegarder la vie de sa population exposée à cette pandémie. Le régime de couvre-feu impose de facto les restrictions des libertés publiques, dont la liberté d’expression et d’opinion. Par conséquent, toute manipulation de ces actes sur les réseaux sociaux peut entraîner des troubles à l’ordre public et entamer la confiance de l’opinion en ses autorités légitimes. C’est un délit commis par voie de presse. Du coup, les auteurs tombent sous le coup de l’Ordonnance précitée. En vertu de son article 93, « la publication, la diffusion par quelque moyen de communication que ce soit, de fausses nouvelles, des pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque faites de mauvaise foi, elle aura troublé l’ordre public, la sécurité publique, la cohésion nationale et l’intégrité du territoire sera punie conformément aux dispositions du Code pénal. »

Selon le Code pénal, le fait d’altérer les actes authentiques par le moyen de la publication d’un document fabriqué en toutes pièces est considéré comme un faux en écriture authentique ou publique. Lorsque le faux est commis dans une écriture publique, les peines encourues vont de 15 à 20 ans d’emprisonnement, selon l’article 257 du Code pénal.Cette lourde peine prévue laisse penser que le faux en écriture publique est un crime et non un délit seulement. Le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance, est habilité à poursuivre les faussaires au nom de l’Etat en justice pour qu’ils soient condamnés.

Certes, la liberté d’expression est un principe constitutionnel, mais son exercice est garanti aux citoyens dans les limites fixées par les lois.L’Etat a instauréle couvre-feu pour sauvegarder l’ordre public sanitaire menacépar la crise épidémiologique née de la pandémie de covid-19.C’est un régime d’exceptionqui accorde le pouvoir de contrôle de la presse et des publications de toute nature aux autorités en charge du maintien de l’ordre. Par conséquent, la divulgation des rumeurs, de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux exposera des auteurs à des poursuites judiciaires.

 

Alphonse Dokalyo