Un terreau de la criminalité dans les villes

Le port d’armes blanches est banalisé dans notre pays. Pourtant, ces objets dangereux, vendus à tout dans les lieux publics, constituent de véritables sources d’insécurité au Tchad.

Pour un oui ou non, les Tchadiens en viennent souvent aux mains usant d’armes blanches qui sèment la désolation au sein des familles. Mais, le port de ces objets utilisés à des fins criminelles n’est pas règlementé par les autorités en charge de la sécurité des citoyens. Selon Gali Ngothé Gatta, « la violence fait partie de nos us et coutume. Un homme qui se déplace de chez lui sans une arme blanche est mal vu (…). De coutume, les groupes ethniques sont armés et savent être violents. Dans les cultures tchadiennes, c’est un euphémisme que de dire que tel groupe a le monopole de la violence et que tel autre est congénitalement couard » (in Cahiers d’histoire, à la découverte du Tchad : les armes artisanales, publication du Centre Al-Mouna, juillet-août 2008). Le port d’armes se rencontre dans presque toutes les communautés tchadiennes.

La législation française définit une arme blanche comme “une arme dont l’action perforante, tranchante ou brisante n’est due qu’à la force humaine ou à un mécanisme auquel elle a été transmise, à l’exclusion d’une explosion”. Ainsi, les armes blanches sont des objets artisanaux qui revêtent diverses formes et qualités. Il s’agit, entre autres, des arcs, des sabres, des poignards, des flèches, des machettes, des couteaux de jet, etc. Elles sont classées en deux catégories : les armes offensives et les armes de défense.

Les raisons d’une flambée d’armes blanches

Autrefois, les armes blanches étaient les symboles du pouvoir, de l’autorité. Seuls, les rois, les chefs des communautés, détenteurs de pouvoirs traditionnels, utilisaient ces instruments pour contrecarrer des menaces individuelles et collectives. Toutefois, le port d’armes blanches est également l’apanage des adultes. Des éleveurs et agriculteurs en sont munis pour se protéger contre des dangers dans les campagnes. Mais, avec des soubresauts que le pays avait connus, surtout la guerre civile de 1979, les habitudes ancestrales ont changé. La guerre avait mis à rude épreuve l’autorité de l’Etat. Le pays était livré aux mains des bandes armées qui font leur loi. Cela a poussé des populations à s’armer pour se défendre. Alors, il y a une explosion de vente libre d’armes blanches dans les villes et campagnes.

A N’Djaména, les vendeurs ambulants de couteaux, de coupes-coupes, etc. parcourent les rues, les débits de boissons et d’autres lieux publics pour proposer leurs articles aux clients. Cette vente libre favorise leur accès facile des citoyens. Du coup, le port d’armes blanches est répandu dans les centres urbains et est devenu même une mode. Des jeunes gens arborent des couteaux de manière ostentatoire pour narguer les autres. Ils n’éprouvent plus le moindre respect pour personne. A la moindre altercation, ils dégainent leurs couteaux sans être inquiétés. Il arrive qu’en plein jour, les paisibles citoyens soient agressés ou dépouillés de leurs biens par des brigands armés de couteaux. De même, de simples querelles entre compagnons se transforment en bagarres meurtrières. Les protagonistes n’hésitent pas à faire usage de leurs poignards pour en découdre. Parfois, ces violences sont perpétrées dans la capitale par les jeunes, surnommés « Colombiens » ou « Magueur ».

Les « Colombiens » ou « Magueur » sont des jeunes issus de l’exode rural. En effet, depuis quelques années, le Tchad subit de plein fouet la crise économique ayant d’impacts négatifs dans la vie des ménages tant en ville que dans les zones rurales. Dans les villages, les jeunes ne peuvent plus subvenir à leurs besoins. Alors, ils émigrent vers les grands centres urbains pour chercher une vie meilleure. Ils sont donc exposés au chômage, à la précarité de l’emploi, à la consommation d’alcool, de la drogue ou autres substances psychotropes, à la pauvreté, à la cherté de la vie, qui les poussent à commettre des actes répréhensibles. Selon le rapport final d’une étude réalisée par le Programme d’Appui à la Réforme de la Justice au Tchad (PRAJUST) sur les tendances de la criminalité à N’Djaména, publié en janvier 2014, 16,9%  des atteintes aux personnes et 23,8% des cas de vol ont été perpétrés entre 2010 et 2012 par les jeunes.

Un laisser-aller développe l’insécurité

Parfois, ces scènes de violences et attaques à l’arme blanche se passent au vu et au su des agents de la police, sans que ceux-ci n’apportent leur secours aux victimes. Pourtant, selon le Code de déontologie de la police nationale, « le fonctionnaire de police a l’obligation d’intervenir lorsqu’il est témoin d’une infraction, d’un délit ou d’un crime, (…) afin de porter assistance ou secourir toute victime » (Cf. article 6). De plus, le refus de porter assistance à une personne en danger est une contravention sanctionnée par le code pénal. Ce comportement laisse au cœur des citoyens une animosité contre la police.

L’usage des poignards nourrit l’insécurité ambiante dans les villes. Les tueries et les vols à main armée, les violences dans les établissements scolaires sont des effets induits de la détention de ces objets tant redoutés par les populations. Chacun craint pour sa vie. Dans la capitale, les conducteurs de mototaxi se disent être en insécurité lorsqu’ils se promènent la nuit. Pour faire face aux agressions, certains portent sur eux des couteaux. Cela n’est pas de nature à favoriser un climat de paix au sein de la population tchadienne.

Cependant, le port d’arme blanche ou à feu est règlementé dans les établissements scolaires par l’arrêté n°23/MEBSA/DG/97 du ministre de l’éducation nationale. Ce texte impose « des fouilles systématiques et/ou inopinées… à l’entrée des cours et dans les salles de classe ». Son article 2 énonce clairement qu’« il est formellement interdit aux élèves d’introduire ou de porter sur eux toutes armes blanches ou à feu ». Ces fouilles ont pour but de récupérer sur les élèves toute arme blanche ou à feu interdite par cet arrêté. Ce contrôle vise finalement à assurer la sécurité dans les établissements scolaires. L’accalmie observée ces derniers temps dans les milieux scolaires pourrait se justifier par l’application de cette mesure. Dans la foulée, le ministre de l’Intérieur avait également annoncé à l’époque, l’interdiction de port d’arme blanche dans les grandes agglomérations du pays pour contrecarrer l’insécurité. Mais, cette  déclaration n’avait pas été suivie d’acte formel.

Par ailleurs, l’Ordonnance n°026/ PG/INT/68 du 28 octobre 1968 réglementant l’importation, le transport, la vente et la détention des armes à feu et des munitions dans la République du Tchad ne fait nullement allusion aux armes blanches. Or, la détention anarchique des armes blanches par des individus cause d’énormes dégâts humains et matériels au même titre que la possession illégale d’armes automatiques. D’ailleurs, les médias font régulièrement écho des cas d’assassinats crapuleux ou de blessures graves par coups de couteau dans le pays. Certes, des auteurs sont arrêtés et jugés, mais la recrudescence des violences dans le pays va crescendo. Ce vide juridique sur le port d’arme blanche peut contribuer à cette résurgence d’insécurité.

Une règlementation s’impose

Le port d’armes blanches dans des lieux publics est interdit ou restreint par la loi dans de nombreux pays. Il est du devoir des autorités tchadiennes en charge de la sécurité des citoyens et des biens de légiférer dans ce domaine. Pour ce faire, il suffit simplement de réactualiser l’Ordonnance n°026/ PG/INT/68 pour y introduire des nouvelles dispositions pour règlementer les armes blanches. Cette révision définira les modalités de fabrication, de détention, de vente de toutes armes blanches, quelle qu’en soit leur nature. Le port d’armes blanches est un legs des ancêtres.  Mais, la possession de certains types d’armes offensives tels que les poignards dans les lieux publics, devra être carrément interdit conformément aux dispositions de la Constitution de la République du Tchad. Selon l’article 161, alinéa 1 de la fondamentale, « les coutumes contraires à l’ordre public (…) sont interdites. » Leur usage fait chaque jour des victimes dans toutes les couches sociales, sans distinction de religion et de région. Ainsi,  la police opérera désormais des contrôles inopinés pour débusquer et appréhender des bandits sans foi ni loi munis d’armes blanches qui sèment la terreur dans nos villes. Aussi, une éducation de la population à la non-violence et une application des principes républicains de justice et d’égalité devant la loi, contribueront à construire une société de paix. Il vaut mieux prévenir que guérir.

Alphonse Dokalyo