Les femmes attendent toujours mieux

 

A l’orée de la 30èmeédition de la Semaine Nationale de la Femme Tchadienne (Senafet) et de la Journée Internationale de la Femme (Jif), les Tchadiennes, à travers leur ministère de tutelle, ont fait, du 12 au 14 février dernier à la Maison nationale de la femme, le point sur l’impact des 30 ans d’existence dudit évènement sur leur vie.

Sous un thème central suffisamment évocateur, « Forum de haut niveau sur la semaine nationale de la femme tchadienne », les participantes et participants ont, à la lumière des sous-thèmes tout aussi actuels que pertinents, planché sur les goulots d’étranglement d’une Senafet sensée redonner toute la place des femmes dans la communauté nationale. De toutes les analyses d’experts en question genre et développement, la femme tchadienne n’est pas sortie de l’auberge. Tant, les pesanteurs socioculturelles et autres stéréotypes vont crescendo. En d’autres termes, la Senafet resterait davantage une coquille vide qu’un instrument d’encadrement, d’orientation et de développement de la femme. Et ce, en dépit de la bonne intention affichée du gouvernement. Laquelle, est effectivement matérialisée par divers textes de loi, notamment la lutte contre l’analphabétisme des femmes via l’envoi et le maintien le plus longtemps possible des filles à l’école, la lutte contre l’excision et le mariage d’enfants, l’intégration des femmes dans les instances de prise de décisions par le truchement de l’égalité numérique (quota de 50%) ou la parité, la forte représentation des femmes dans les fonctions nominatives et électives, etc. Le tout, couronné d’un quinquennat politique entièrement dédié à la femme et à la jeunesse, qui n’aura été que simple effet d’annonce.

La persistance des inégalités et disparités de genre

Alors que la participation des femmes et des filles représente un moyen performant de la promotion du développement tous azimuts, les inégalités et les disparités de genre s’observent encore à ce jour dans tous les domaines de la vie, notamment politico-économique et socioculturelle. Car, l’approche « genre » s’inscrit plutôt dans la promotion sans faille de l’égalité des droits et de sexes en vue d’un meilleur contrôle des ressources par les femmes que par les hommes. Ce qui implique l’égalité de sexes dans la prise de décisions politique, économique, sociale et culturelle, la valorisation et surtout la reconnaissance socioéconomique des rôles et contribution des deux entités ou sexes dans la sphère autant publique que privée.

Mais en pratique, le contraste est saisissant. Il est d’autant plus saisissant qu’en milieu socioculturel, par exemple, les inégalités et les disparités des droits sont criardes. La sphère familiale, pétrie de culture patriarcale, se trouve être l’essentiel des justificatifs de la marginalisation de la femme. La préférence de naissances emportant préférence de fonctions sociales ou rôles économiques et politiques, le garçon est naturellement bombardé de tous les privilèges au détriment de la fille y compris aux droits à la succession. Ces inégalités et disparités ainsi traduites dans la division sexuelle du travail ont pour conséquence, l’assignation prioritaire des hommes à la sphère productive et les femmes, à la sphère essentiellement reproductive (faire d’enfants, s’occuper du ménage). En raison de cette division sexuelle du travail, les hommes s’accaparent les fonctions politiques et économiques à forte valeur ajoutée, notamment les postes nominatifs (sous-préfet, préfet, gouverneur de province, ministre, ambassadeur, président d’institutions) et ceux électifs (députés, maires, président de la République, etc.).

A la moindre réclamation de ses droits les plus fondamentaux et légitimes, la femme a toujours vite fait d’être « remise à sa place » de mara sakit. Et les subterfuges ne manquent point pour l’intimider afin de la maintenir solidement à des rôles de second plan. Mieux, elle est simplement réduite au silence. Les barbus, imbus d’arguments de la force, s’imposent et imposent leur « suprématie » sur la femme. La notion de la chefferie au féminin casse plutôt que ne passe. D’autant plus qu’elle est ici enfermée dans un sens de commandement et non pas dans celui de l’organisation matérielle du travail. Tout ceci confère à la femme la terrible définition de sexe faible, qui ne peut absolument rien quant à assumer des fonctions d’une certaine envergure. D’où le prétendu devoir naturel de leur protection par les hommes qui les confinent de ce fait dans des tâches « les moins ardues ou moins exigeantes » dans la société. Soit !

 La longue marche (à reculons) des femmes

Le livre d’or de l’Assemblée nationale (An) renseigne que de toute l’évolution politique du Tchad (1947 à nos jours), la femme tchadienne n’est pas assez entrée dans l’histoire. De l’unique à avoir siégé pour la toute première fois aux côtés des hommes à la chambre basse du parlement de mars 1962, en l’occurrence Louise Bourkou, par ailleurs première institutrice tchadienne, l’on est péniblement arrivé à un chiffre de 28 dans l’actuel hémicycle, passant par les 7 de furtive chambre élue de 1990. Pour ce qui est du Conseil supérieur de transition, mis en place par la Conférence nationale souveraine (Cns) de 1993, seules 10 femmes s’étaient vues attribuer le précieux siège de conseiller. Et, ce sera tout pour la maigre récolte en matière de fonctions électives. Les municipalités sont une notion lointaine à l’époque et, même actuellement, perfectible.

Du point de vue numérique, les fonctions nominatives ne sont pas moins lamentables. Le rapport d’experts sur la politique nationale du genre indique quant à lui, que dans le gouvernement ou les instances de gestion du pouvoir d’Etat, les femmes restent largement sous-représentées. De tous les gouvernements qui se succèdent depuis la nuit de temps, la proportion des femmes n’a guère dépassé la dizaine. Cette faible représentation des femmes dans la sphère politique s’explique encore et toujours par des préjugés sexistes tenaces et les sempiternelles pesanteurs socioculturelles. Voulues en arrière-garde des affaires publiques, les femmes tchadiennes sont les moins intellectuellement outillées de la sous-région Afrique centrale. Leur niveau d’éducation et d’instruction est des plus bas, leur participation et leur mauvais positionnement politique sur des listes électorales, leurs faibles pouvoirs économique et financier les rendent vulnérables à toutes sortes de prédations. Méthodiques et méticuleuses dans la gestion d’affaires, les femmes sont à ce titre, plus craintes que « protégées ». Or, si le politique prenait un tant soit peu la transversalité des rapports sociaux dans ses analyses ou dans la définition de ses projets de société, le peuple tchadien ne s’en porterait que mieux. Tant, les femmes détiennent incontestablement un capital du savoir-faire pratique le plus abouti. Mais hélas ! Elles n’ont pas véritablement voix au chapitre. Même si on essaie de les accompagner sur le chemin de l’enfer, pavé de bonnes intentions.

Au rang des flops de mesures, figurent en bonne place l’ordonnance présidentielle du 22 mai 2018 rendant obligatoire l’octroi de 30% de places aux femmes dans les fonctions nominatives et électives et de l’ordonnance n°20 de la même année portant charte des partis politiques, qui fait obligation d’un quota de 30% des femmes dans les instances dirigeantes de tous les partis politiques sous peine de dissolution, entre autres. Ce qui n’obéit qu’à la constitution du 4 mai 2018 en son article 34 disposant que : « l’Etat œuvre à la promotion des droits politiques de la femme par une meilleure représentation dans les assemblées élues, les institutions et les administrations publiques et privées ».

Les grandes marginalisées du monde rural

Il est moins vrai que de tout ce que renferme le secteur de production tels l’agriculture, l’élevage, la pêche, les mines et l’artisanat, les femmes, notamment celles rurales, s’illustrent particulièrement meilleures. Dans l’agriculture surtout, elles représentent l’essentiel de la main d’œuvre de cultures aussi bien vivrières que rentières. Elles sont l’alpha et l’oméga dans la production en ce sens qu’elles sont infaillibles gardiennes de semences jusqu’à la récolte, passant par le semi et les sarclages. Bref, attendu que l’agriculture tchadienne est encore de subsistance, le peuple tchadien tout entier et son président de la République en tête, sont nourris par ces femmes rurales qui bravent de tout temps la pire adversité de la nature (bêtes sauvages féroces, serpents venimeux, chasseurs dévergondés, pluies torrentielles, soleil de plomb, faim, soif, etc.), mais qui sont les plus marginalisées dans la définition des politiques publiques.

En tout état de cause, au-delà du partage équitable des pouvoirs de décision et de gestion entre les femmes et les hommes, il est important de savoir que la question du genre est avant tout une question des droits de l’homme, que les dirigeants ou décideurs politiques et économiques doivent impérativement intégrer dans leurs actions. Elle n’est donc pas négociable, quoique les femmes la concèdent volontiers au gouvernement via d’inlassables et vaines recommandations, comme c’était le cas lors du dernier forum de haut niveau.

Thomas Reoukoubou